Exiger la publication des travaux parlementaires en français
Extrait de Gaétan Migneault, « Le Canada français et la Confédération : Les Acadiens du Nouveau-Brunswick », dans Jean-François Caron et Marcel Martel, Le Canada français et la Confédération : Fondements et bilan critique (PUL, 2016), p. 20-21
Aux honorables membres de la chambre d’Assemblée de la province du Nouveau-Brunswick en parlement réunis ;
L’humble requête des soussignés habitants du comté de Gloucester représente humblement :
Qu’un sixième de la population de cette province appartient à la race française, dont bien peu, sur ce nombre, comprend la langue ;
Que des milliers d’habitants se trouvent, de cette manière, privés de prendre connaissance des débats du parlement, auxquels ils sont néanmoins intéressés comme tout autre habitant du Nouveau-Brunswick ;
Que les soussignés ont vu avec regret, en 1864, le rejet de la motion du membre de ce comté en parlement, demandant que les débats de l’Assemblée législative fussent traduits en français, c’est-à-dire : The Debates of the House of Assembly of the Province of New Brunswick et le Journal of the House of the same ;
Que la 133e clause du projet de la Confédération reconnaît la justice de la mesure que vos pétitionnaires sollicitent actuellement, en déclarant que : « Les actes du parlement du Canada et de la législature de Québec seront imprimés et publiés dans les deux langues » ;
Qu’il semble à vos pétitionnaires que le temps est arrivé où la législature locale devrait accorder aux Français de cette province ce que les honorables délégués des provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick n’ont pas cru, dans leur sagesse, devoir refuser aux Français du gouvernement général ;
C’est pourquoi vos pétitionnaires, confiant dans (sic) votre impartialité et dans la justice de leur requête, vous prient de leur accorder la traduction des débats et du journal de l’Assemblée législative, ainsi que celle des affiches publiques émanant par autorité du gouvernement.
Et ne cesseront de prier. »
En 1864, des politiciens se réunissent à Charlottetown puis à Québec pour jeter les bases de la future Confédération canadienne. Ces personnalités, appelées Pères de la Confédération, adoptent 72 résolutions qui guideront la rédaction de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), qu’adoptera le Parlement britannique en 1867.
La résolution 46, qui deviendra l’article 133 dans l’AANB, mentionne que les institutions parlementaires et les tribunaux de la future province de Québec et du gouvernement fédéral seront bilingues. Cette résolution exclut la colonie du Nouveau-Brunswick, qui compte pourtant une importante minorité d’Acadiens.
Les 72 résolutions sont publiées dans la Gazette royale le 25 janvier 1865 pendant la campagne électorale au Nouveau-Brunswick. Elles suscitent des débats. De nombreux électeurs dénoncent la répartition des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral et la place du Nouveau-Brunswick dans la future colonie canadienne. Les forces s’opposant à la Confédération remportent les élections. Le nouveau gouvernement est toutefois fragile; aussi perd-il le pouvoir un an plus tard, lors de nouvelles élections. Ces dernières se déroulent dans le contexte d’une possible invasion du Nouveau-Brunswick par les Fenians, ces partisans de l’indépendance de l’Irlande qui vivent aux États-Unis.
Cent soixante-dix-neuf Acadiens du comté de Gloucester, dans le nord-est de la colonie, profitent de ces débats pour promouvoir leurs droits linguistiques. Ils déposent une pétition à l’Assemblée législative, le 11 ou le 12 juin 1867. Ces Acadiens exigent la publication des travaux parlementaires en anglais et en français. Les élus rejettent cette pétition, comme ils l’ont fait à chaque fois qu’ils ont débattu de la question de la traduction des débats depuis les années 1850. Les Acadiens devront donc patienter jusqu’à l’adoption de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, en 1969, loi qui rendra finalement cette province bilingue.
Titre du document : Aux honorables membres de la chambre d’Assemblée de la province du Nouveau-Brunswick en parlement réunis ; L’humble requête des soussignés habitants du comté de Gloucester représente humblement.
Date : 11 ou 12 juin 1867
Source : Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, PANB/RS4/Synoptic Reports of the Debates of the Legislative Assembly of New Brunswick/1866-1867/F71. Cette pétition est reproduite dans Gaétan Migneault, « Le Canada français et la Confédération : Les Acadiens du Nouveau-Brunswick », dans Jean-François Caron et Marcel Martel, Le Canada français et la Confédération : Fondements et bilan critique, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2016), p. 20-21. La pétition reproduite dans le chapitre de Gaétan Migneault est incluse dans l’anthologie avec la permission des Presses de l’Université Laval.
Pour en savoir plus
En ligne
« Les Acadiens et la fédération canadienne, avec J. Belliveau », Aujourd’hui l’histoire, Ici Radio-Canada, 22 août 2019.
« Les acadiens face à la constitution de 1867 », Format libre, Ici Radio-Canada, 4 juillet 2017.
Doucet, Michel. « Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération », L’Acadie Nouvelle, 20 février 2017.
Migneault, Gaétan. « Quand l’Acadie remettait la pendule à l’heure de la Confédération », OnFr, 21 avril 2017.
Ouvrages, articles et chapitre de livre
Migneault, Gaétan. Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération, Lévis, Les Éditions de la Francophonie, 2009.
Migneault, Gaétan. « La reconnaissance législative accordée aux Acadiens du Nouveau-Brunswick avant la Confédération (1784 à 1867) », Acadiensis, vol. 41, no 2 (été-automne 2012), p. 109-141.
Migneault, Gaétan. « L’accès de la minorité francophone à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick », Acadiensis, vol. 47, no 1 (hiver-printemps 2018), p. 140-177.
Rocher, François. « Sur les opposants au projet de Confédération de 1864 : critiques sur la finalité du régime », dans Eugénie Brouillet, Alain-G. Gagnon et Guy Laforest (dir.), La Conférence de Québec de 1864, 150 ans plus tard. Comprendre l’émergence de la fédération canadienne, Québec, Presses de l’Université Laval, 2016, p. 191-230.