« Molière go home! » : les débuts du théâtre franco-ontarien
Troupe Universitaire’ 70 Action Theatrale
Il semble superflu de le redire mais nous sommes franco-ontariens. WOW! BEDING-BEDANG! HOSTIE DE CALVAIRE! MOUMAN!
Tout est là. Il faudrait arrêter l’article après ce premier paragraphe. Le germe de toute réflexion pertinente sur ce que devrait faire la Troupe des francos y est.
Poursuivre, c’est un peu faire du bullshitisme académique et ça c’est pas tellement fort comme engrais;
Allons-y quand même.
PETITE CHARADE D’IDENTIFICATION.
-Je suis mineur, fermier, bûcheron, ouvrier.
-Je suis au bas de l’échelle des revenus, d’éducation, de prestige, du pouvoir.
-Je suis minoritaire et marginal dans ma province.
-J’ai des leaders que je n’ai pas choisis, tirés d’une élite qui pense me représenter et se soucie de mes intérêts les plus pressants en me parachutant des tournées d’artistes étrangers en me chiant sur la tête avec des campagnes de bon parler. J’ai des représentants « frogs » partout, représentants dont le souci de base est la justification de mon existence comme français aux yeux de la population anglaise.
-Je prends des cours universitaires de littérature où des profs européens s’acharnent à me déraciner en corrigeant ma prononciation, mon vocabulaire et ma pensée, et où ils achèvent de m’aliéner et de me dépersonnaliser.
QUI SUIS-JE?
C’est à cela que le théatre doit répondre. C’est ce dilemme qu’il doit monter sur scène. Et ce drame doit être joué « on our terms ».
En 1970, en Amérique, Au Canada, en Ontario, à Sudbury, avec nos corps, nos voix et nos personnages.
MOLIÈRE GO HOME!
L’article « Troupe universitaire 70 – action théâtrale » paraît le 24 septembre 1970 dans Le Lambda, le journal étudiant francophone de l’Université Laurentienne. Il vise à recruter de nouveaux membres pour la troupe universitaire francophone, dirigée depuis l’été par Pierre Bélanger, un jeune professeur de sociologie.
Le texte anonyme, qu’on surnomme aussi le manifeste « Molière go home! », invite les participants et participantes à réfléchir, par le biais du théâtre, à la condition franco-ontarienne telle que la vivent la classe ouvrière et la population étudiante dans le Nord de l’Ontario, et plus spécialement à Sudbury. Ce projet s’érige contre l’élite locale et les références étrangères, surtout françaises, perçues comme aliénantes, qui dominent alors dans les cours universitaires. Plus tard durant l’automne, une cinquantaine d’étudiants et d’étudiantes participent d’ailleurs à un « sit-in » pour réclamer des cours de littérature canadienne-française au Département de français de l’Université Laurentienne.
Le 1er février 1971, la Troupe universitaire crée la pièce Moé j’viens du Nord, ’stie à l’amphithéâtre de l’Université Laurentienne. Cette création collective, dont le texte est attribué à André Paiement, met en scène Roger, un élève du secondaire qui souhaite étudier à l’université au lieu de travailler à la mine comme son père. Elle comprend quatre chansons, majoritairement de Robert Paquette, qui allait devenir un célèbre auteur-compositeur, et un jeu de diapositives projetant des photographies des lieux représentés dans la pièce.
Au cours du printemps 1971, la pièce est jouée à Timmins, Kapuskasing, Hearst et North Bay. L’accueil des jeunes est enthousiaste, tandis que la réaction du clergé et des directions d’école est plus que mitigée à cause des nombreux sacres et du français local et populaire employés par les personnages.
Moé j’viens du Nord, ’stie marque le début du théâtre franco-ontarien, plus spécifiquement d’une tradition théâtrale pour et par les francophones de l’Ontario. La même année, des comédiens de la Troupe fondent le Théâtre du Nouvel-Ontario, dirigé par André Paiement jusqu’à son décès en 1978, tandis que des rédacteurs du Lambda lanceront en 1973 les Éditions Prise de parole, qui constituent aujourd’hui la plus ancienne maison d’édition franco-ontarienne.
Titre du document : Troupe universitaire 70 – action théâtrale
Date : 24 septembre 1970
Source : Le Lambda, vol. 9, no 2, 25 septembre 1970.
Pour en savoir plus
En ligne
Melançon, Johanne. « Moé, j’viens du Nord, ’stie! », exposition virtuelle, Le Théâtre du Nouvel-Ontario [2020].
Théâtre du Nouvel-Ontario. « Table ronde du TNO – Moé j’viens du Nord ’stie : 50 ans après », 25 mars 2021.
Animation culturelle 2.0 Conseil du Grand Nord. « Un extrait de Moé j’viens du Nord, ’stie .»
Robert Paquette, « Moi, j’viens du nord »
Articles, chapitres de livres et livres
Brun del Re, Ariane. « Créer (pour) un village : les stratégies d’inclusion de Moé j’viens du Nord, ’stie », dans Décoder le lecteur : la littérature franco-canadienne et ses publics, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 2022, p. 34-49.
Hotte, Lucie. « Littérature et conscience identitaire : l’héritage de CANO », dans Andrée Fortin (dir.), Produire la culture, produire l’identité?, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. « Culture française d’Amérique », 2000, p. 53-68.
Moss, Jane. « Le théâtre francophone en Ontario », dans Lucie Hotte et Johanne Melançon (dir.), Introduction à la littérature franco-ontarienne, Sudbury, Prise de parole, coll. « Agora », 2010, p. 71-111.
Paiement, André. « Moé j’viens du Nord, ’stie », dans Les partitions d’une époque : les pièces d’André Paiement et du Théâtre du Nouvel-Ontario (1971-1976), vol. I, préface de Joël Beddows, Sudbury, Prise de parole, coll. « Bibliothèque canadienne-française », 2004, p. 27-74.
Tremblay, Gaston. Prendre la parole. Le journal de bord du Grand CANO, Ottawa, Le Nordir, 1996.
Tremblay, Gaston. La littérature du vacuum. Genèse de la littérature franco-ontarienne, Ottawa, Éditions David, coll. « Voix savantes », 2016.